Un million de merci à Danièle Duteil pour sa superbe recension/critique de mon nouveau recueil de haïkus Égarer la lenteur, paru aux Éditions Unicité (ISBN : 978-2-37355-021-4. 13 €. Disponible sur ce lien) publiée dans le numéro 80 de la Lettre du haïku de la revue Ploc !
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Égarer la lenteur
Haïkus, senryûs & brefs d’Hélène Duc
Illustrations Nicolas Reading
Éditions unicité, 4e trimestre 2015. ISBN : 978-2-37355-021-4. 13 €.
Par Danièle Duteil
Avec Égarer la lenteur, Hélène Duc signe son troisième recueil de haïkus. Le titre, alliance de mots inhabituelle, pique la curiosité en pointant un rapport au temps particulier, à découvrir.
De ce rapport découle une vision originale du monde, étroitement liée à l’état d’esprit de la personne à un instant donné.
Hélène Duc choisit de débuter son livre par le solstice d’été, indiquant qu’elle inscrit ses haïkus certes dans le passage des saisons, mais d’abord dans la journée la plus longue de l’année. Pour ne pas la laisser échapper, elle la fixe dans l’éternité en l’inscrivant sur la page.
À plusieurs reprises, on la voit ainsi retenir les heures, attardant ses doigts sur les fleurs de la nappe quand vient l’hiver, suivant le sillage d’un cygne, la griffure d’une libellule sur l’étang, écoutant le café s’égoutter lentement…
Les haïkus sont aussi l’occasion de marquer de nombreux arrêts sur image, parfois très doux, comme ces pinsons blottis dans leur solfège, d’autres fois angoissants :
heure du couchant
une mouette engluée
dans son ombre
En toile de fond, le deuil et la maladie, mentionnés par touches clairsemées, expliquent ce désir de bloquer les aiguilles de la pendule. Mais rapidité et lenteur sont les deux composantes incontournables du facteur temps. Comment gérer la fuite des heures, quand les souvenirs eux-mêmes échappent à l’emprise de la volonté ?
fenêtre du train
les souvenirs de Noël
à grande vitesse
Dans le sillage de l’existence, demeurent les blancs de l’absence et de la solitude, quand les êtres chers viennent à manquer.
Avec Hélène Duc, ce silence revêt une densité palpable. Empaumé, agité par les essuie-glaces ou une éolienne, marqué au calendrier elliptique, saisi sous la forme d’une mouche écrasée, d’une amorce de dégel, il semble secrété par l’eau, sifflant au bout de l’arrosoir, et par la vie même, fût-elle naissante :
soir de solitude
autour des bourgeons
l’éclosion du silence
Dans ce monde ténu, chaque bruit devient la coque où se redessinent les contours de chaque silence, sa caisse de résonnance. Le moindre événement prend des proportions démesurées : le vol du hanneton retentit comme un coup de tonnerre et la musique étourdit la luciole
Le mouvement, quant à lui, peut surgir à travers de très belles images (un saut de carpe emperle le matin), mais survient souvent à contretemps, presque douloureusement : le sursaut du grille-pain / déplace la lumière, la fourmi un mot sur deux sur la page, une ligne d’écume recule, le coquelicot s’ouvre par salves et la dernière abeille passe en rouillant.
Le trait d’humour ci-dessus en côtoie beaucoup d’autres dans le recueil, parfois grinçants, comme la fenêtre à guillotine du 14 juillet, ou encore dans :
mercredi des Cendres
le camélia s’attise
au rouge d’un autre
L’esthétique poétique du recueil, est empreinte de « sabi » : la patine du temps s’insinue à chaque page, jusque dans les vieilles grilles de mots croisés, qui accueillent les pétales fanés du volubilis. Elle est révélée par une gamme chromatique orientée du côté de l’estompe, horizon délavé, bleu du regard vieilli… D’ailleurs, on parle rarement de couleurs franches, mais de nuances. Les évocations se déploient dans l’entre-deux, à la faveur du brouillard ou d’un reflet dans l’eau, du passage des saisons ; l’ombre devance le soir, la pâle présence de la lune se déforme et s’effiloche dans l’humidité ambiante, tandis que l’arc-en-ciel prend la clé des champs ou que l’aube se voit contrainte :
matin d’épiphanie
une toile d’araignée
rapetisse l’aurore
Mais, si les trouvailles superbes d’Hélène Duc tirent fréquemment un sourire, les sentiments n’en ressortent pas moins en demi-teinte eux aussi,
plein vif de l’aube
le champ d’orge oscille
entre rire et sanglot
La belle écriture de l’auteure est agréablement servie par le trait de crayon plein d’entrain de Nicolas Reading.